mes Robert Lepage
Au théâtre, face à un film !
Ce spectacle retrace l’histoire des Autochtones au Canada et leur difficile intégration dans la société. A travers une multiplicité d’intrigues et de tableaux, Robert Lepage raconte à la fois une histoire commune et plusieurs fragments de petites histoires individuelles, qui finalement entrent toutes en résonnance avec le fil conducteur de la pièce : l’histoire de Tanya, une jeune autochtone vivant à Vancouver, toxicomane et prostituée. Sa rencontre avec Miranda et Ferdinand, deux jeunes français artistes fraîchement installés à Vancouver bouleverse sa vie et la sort de son quotidien autodestructeur. Son assassinat par Robert Pickton, un tueur en série et toute l’enquête qui s’ensuit, constitue véritablement l’un des principaux nœuds de l’intrigue. Le spectacle amène à plusieurs réflexions intéressantes et renvoie notamment à la controverse qui a éclaté autour de la pièce. Effectivement, Lepage qui n’a engagé aucun acteur véritablement autochtone, se défend en rétorquant explicitement dans son spectacle, que même s’ils n’appartiennent pas à la communauté concernée, les artistes devraient pouvoir aborder des sujets qui leur tiennent à cœur, défendre des causes, dénoncer, s’intéresser à des thèmes qui ne les concernent pas mais dont ils ont l’envie et la légitimité artistique de nous faire part.
La mise en scène de Robert Lepage est à couper le souffle tant elle est grandiose, spectaculaire, travaillée et étudiée au millimètre près. Durant tout le long du spectacle, nous sommes transportés par des tableaux qui se rapprochent de très près du cinéma. En effet, c’est là que réside la force de la mise en scène, c’est tant dans la quantité de figurants qui rendent les scènes plus vraies que nature, que dans le parfait réalisme des décors : un commissariat, une rue délabrée, un loft, un restaurant, un lac, un musée, une porcherie, une salle de shoots, un restaurant, une forêt détruite à coups de tronçonneuse, un parc… Cette multitude de décors nous donnent l’illusion d’être face à un film puisque c’est comme si, comme au cinéma, dans cette pièce, tout était possible, rien n’est irreprésentable, chaque tableau est plus impressionnant que l’autre. Tout est travaillé avec un sens du détail hors norme. C’est une mise en scène qui nous en met véritablement plein les yeux, tout est contrôlé, les changements de décors sont parfaitement maîtrisés… Le nombre d’acteurs présents dans certaines scènes est inhabituel, c’est également cela qui rend la pièce extrêmement cinématographique, le nombre de comédiens ne se limite pas, comme d’habitude au théâtre, aux personnages principaux. Cependant, malgré toute cette mise en scène absolument grandiose et majestueuse, le jeu des acteurs et l’histoire laissent le spectateur perplexe. Les comédiens ont un jeu peu naturel. Effectivement, le texte contemporain laisserait normalement place à un jeu très réaliste, très spontané. Pourtant, les acteurs étaient souvent dans le pathos, ils disaient le texte sans élision et ainsi, donnaient l’impression de ne pas toujours être justes. De plus, le texte est très simple, peut-être trop pour le théâtre et serait mieux adapté à un film ou une série. Beaucoup de scènes sont évidemment très touchantes par le propos de fond, l’émotion qui est extrêmement présente tout le long de la pièce au vu du sujet, lourd et bouleversant et l’on s’habitue malgré tout au jeu des acteurs.
C’est une pièce véritablement impressionnante, spectaculaire, juste dans ses intentions, pleine d’espoir, de créativité, de sensibilité mais quelques réserves persistent tout de même. Tant de moyens déployés pour l’esthétique de la mise en scène, ne font malheureusement pas oublier que le texte aurait pu être plus recherché et dans l’intrigue et dans la langue. Les 2h40 passent toutes seules puisque l’on est happé par cet univers et tout de même intéressé par l’intrigue.
Une pièce controversée à voir ne serait-ce qu’uniquement pour sa scénographie époustouflante !