librement inspiré de la pièce Platonov d’Anton Tchekov, mise en scène de Lorraine de Sagan
vu par Charles F.
Il s’agit d’une mise en scène de Lorraine de Sagazan, librement adaptée de la célèbre pièce d’Anton Tchekhov Platonov une œuvre de jeunesse démesurée et néanmoins inachevée. Cette représentation, interprétée par la compagnie de la Brèche, dure 2h15, sans compter l’improvisation, d’une demi-heure, du comédien principal à la toute fin.
La scène, de forme carrée, se trouve au milieu du public. En ce qui concerne la scénographie, un large tapis, doté de motifs fleuris, recouvre l’intégralité de l’espace scénique, sur lequel est posée une table basse, un petit canapé orange pâle, un lit, et en plein milieu une longue table de repas, laquelle supporte tous les éléments nécessaires à un apéritif : verres de champagne, champagne, couverts, petit plats… Autour de cette table sont disposées plusieurs chaises sur lesquelles s’assoient parfois les convives, soit les personnages de la pièce. Tout au long du spectacle, les comédiens s’assoient, se lèvent, parfois brutalement, crient, déambulent, souvent nerveusement, certains même transpirent. Le silence est rare. En effet, l’histoire donne lieu à de nombreuses polémiques et des dialogues électriques. Le spectacle, prenant donc la forme d’un apéritif entre amis, évoque « l’absence du père », c’est-à-dire l’absence de valeurs, d’éducation, de transmission(s), d’influence(s), de soutien… Chaque personnage ressent le besoin d’évoquer la perception qu’il a de sa propre enfance, de son éducation, faisant parfois un monologue en plein milieu d’un dialogue. Cette pièce parle donc de nostalgie, de regrets, d’aigreur… La plupart des personnages ne parviennent pas à vivre dans l’instant présent, certains tentent par de tous les moyens d’obtenir le bonheur immédiat, de conquérir l’avenir, tandis que d’autres regrettent le passé mais aussi, curieusement, l’avenir. Ceux-là déplorent leurs parcours, leurs évolutions, choix et métiers respectifs et n’ont de ce fait plus aucune confiance en l’avenir, en eux-mêmes et en leurs capacités. Ils ne croient plus en leur jeunesse et se pensent déjà vieux. L’acteur principal se croit même en fin de vie, persuadé d’avoir déjà tout vécu, le bonheur est derrière lui.
La mise en scène de cette thématique m’a beaucoup plu, notamment le jet de sable permanent des trente dernières minutes qui singularise davantage la scénographie du spectacle. Son questionnement philosophique, que tout individu se pose à un moment donné, est touchant : le temps qui passe, la vie qui défile, la mort se faisant de plus en plus proche. Que faire quand on a une seule vie ? L’avons-nous perpétuellement devant nous ? Comment savoir s’il on est heureux ? Le meilleur est-il devant ou derrière nous ? Ce sont toutes les questions que je me suis posé en sortant de la salle. Je me suis construis mon propre point de vue après avoir découvert celui des personnages, plutôt électriques. En effet, toutes ces querelles, agitations, suicide (pour l’un des personnages), cris, insultes proviennent de l’aigreur. Et ce sentiment est lié, à mon sens, à l’absence du père. J’ai retenu une phrase, dite par le comédien principal à la toute fin du spectacle, qui à mon sens, constitue le pilier central de la dimension philosophique du spectacle : « J’ai trente-cinq ans. Je suis un zéro. Un raté. J’ai trente-cinq ans. Je n’ai rien fait de ma vie. Où est ma force ? Où est mon talent ? Ma vie est un désastre. Hamlet avait peur de rêver, moi j’ai peur de vivre ». Et moi, même en tant qu’adolescent, cette phrase m’a surpris et m’a fait réfléchir davantage à mes choix d’avenir.
Je vous recommande fortement ce spectacle qui, à mon sens, vous divertira tout en vous faisant réfléchir sur des sujets importants ; la racine, le développement et la fin d’une vie.
vu par Berkant A.
L’Absence de Père, une histoire haute en comédie mais qui laisse nos sourires aux soupirs des personnages
Cette pièce a été réécrite par Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix. La sujet de l’héritage se construit autour des personnages, de leurs réminiscences entre eux et de leurs histoires parfois traumatisées. La figure du père, que les personnages nous font découvrir un à un avec leurs longues tirades, est au centre du traumatisme, de la souffrance et de la pitié qui pèsent sur les épaules des protagonistes.
Les personnages qui racontent la fragilité de leurs pères, les angoisses qu’ils avaient pour leurs familles et comment ils s’éloignent d’elles afin de s’émanciper, en les laissant derrière, deviennent de plus en plus les leurs. C’est à ce moment-là que le sujet de l’héritage apparaît à travers Anna Petrovna, son beau-fils Sergueï et sa femme Sophie, Michel Platonov – instituteur de campagne et amour de jeunesse de Sophie, maintenant marié à Sacha.
La mise en scène exceptionnelle de Lorraine de Sagazan et de Guillaume Poix nous place au milieu d’un appartement où tous les débats ont lieu. Les décors authentiques mais plutôt modernes mettent l’accent sur la magnifique mise en scène de la fête d’Anna Petrovna : les lumières LED éclairent les comédiens qui font leurs longues tirades afin de réunir toute l’attention du public; les chambres de l’appartement où les personnages viennent un par un pour fumer, prendre de l’alcool, et affronter leurs traumatismes et leurs souffrances; et enfin des sables coulant sur la scène et même sur les personnages qui souffrent et qui souhaitent mourir.
Une superbe pièce à la fois comique, dramatique et romantique passant au-delà des murs du Théâtre Gérard Philipe. A voir absolument !