Les invisibles au Théâtre des Quartiers d’Ivry jusqu’au 13 février

Les invisibles au Théâtre des Quartiers d’Ivry jusqu’au 13 février

Texte et mes Nasser Djemaï

Vu par Jeanne M.

Les oubliés

L’intrigue fusionne deux histoires. Tout d’abord celle de  Martin qui, suite au décès de sa mère n’a reçu comme seul héritage qu’un coffret contenant l’identité de son père qu’il n’a jamais connu et qu’il va tenter de retrouver puis, celle de cinq Algériens à la retraite résidant dans un foyer, dont la triste routine quotidienne est soudainement bouleversée par l’arrivée de Martin.
Le décor dépouillé, les meubles simples (un lit, une table et des chaises) et les vêtements modestes, apportent une atmosphère émouvante et concentrent le spectateur sur les personnages plus que sur ce qui les entoure.
L’atmosphère qui se dégage de la scène est apaisante. Le rôle des retraités est parfaitement interprété, ils sont très attachants et la profondeur ainsi que la sincérité des paroles échangées ne peut laisser le spectateur indifférent. Parfois, une touche humoristique vient se faufiler, ce qui apporte un grain de folie à l’histoire, de la lumière parmi l’ombre.
Les projetés cinématographiques en arrière scène, représentant des souvenirs de leurs femmes, mères apportent beaucoup d’émotion à l’ensemble et surtout une  présence féminine car tous les acteurs présents sur scène sont des hommes.
Tout au long de la pièce, le père de Martin reste là, immobile. C’est le seul personnage à ne jamais sortir ni entrer mais, malgré sa présence constante, il est comme invisible.

Une intrigue peu commune, riche en émotion et qui interpelle. A voir absolument !

Vu par Sara B.

Invisibles est un spectacle de Nasser Djemaï, mis en scène par Clothilde Sandir, que nous sommes allés voir le 29 janvier au Théâtre des Quartiers d’Ivry.

Invisibles raconte l’histoire de cinq hommes âgés, cinq « Chibanis » (« cheveux blancs »), immigrés algériens qui sont arrivés dans la France des Trente Glorieuses. Invisibles raconte peut-être l’histoire de toute une génération d’immigrés. Ceux qui ont émigré en France dans les années 1940 à 1970 et qui ont travaillé, comme ouvriers la plupart du temps, se retrouvant désormais à vivre dans la pauvreté, dans un monde qui ne les voit pas forcément. Les cinq Chibanis doivent vivre au minimum six mois sur le territoire français pour toucher une maigre retraite dont ils envoient une partie à leur famille en Algérie. A leur histoire s’entremêle celle de Martin, un jeune garçon qui est à la recherche de son père qu’il n’a jamais connu.
A l’image de l’étroitesse de l’appartement et de la misère dans laquelle vivent les personnages, les décors sont simples et ternes, parfois abîmés. Ils sont une simple petite table et des chaises, et au centre, un meuble de cuisine que l’on a rafistolé avec du gros scotch et qui sert aussi, quand on le tourne, de lit à l’un des personnages.
Des femmes apparaissent parfois en hologramme sur le mur du fond de la scène. Ce sont les femmes qui ont partagé la vie des personnages, mères, femmes, et leur présence par hologrammes représente leur absence dans la vie des personnages. Grandes, vêtues de blanc, silencieuses, on dirait presque des fantômes, elles ne sont plus que souvenirs.
Les personnages sont en effet « invisibles ». Leur travail n’est pas reconnu : ils ne touchent qu’une retraite faible. Ils ne sont pas forcément « reconnus » par la société, l’État qui semble ne pas s’en soucier, ne pas les voir. Ils ont peu d’argent, ce qui les écarte aux marges de la société. De plus, la vieillesse les isole, dans ce foyer miséreux, ils sont loin de leur famille qu’ils ne voient pratiquement plus. Ce sont aussi des personnages que l’on ne voit pas, des personnages qui assis sur un banc voient mais ne sont pas vus.
Les passages où les personnages ont des monologues sont particulièrement émouvants. Chacun avec son histoire, et chacun invisible à sa manière est rendu visible par ces monologues qui dirigent l’attention des spectateurs sur eux.
Par ce très beau spectacle, Nasser Djemaï permet de rendre visibles ces hommes « invisibles ».

Invisibles est un très beau et émouvant spectacle de Nasser Djemaï, qu’il faut absolument aller voir.

 

Vu par Nadège B.

Simple, Efficace, et Émouvant.
L’œuvre met en scène le quotidien de cinq retraités algériens dans un foyer. On appelle « chibanis » ces travailleurs venus en France durant les Trente Glorieuses face au manque de main d’œuvre. Ils ont laissé femmes et enfants en Algérie pour se retrouver seuls, à devoir travailler toute leur vie. Devenus maintenant plus âgés, ils se retrouvent bloqués en France afin de continuer de toucher pensions et retraites qu’ils renvoient en partie à leurs proches restés au pays. La loi les oblige à résider 6 mois minimum en France afin de toucher leur retraite. Puisque les billets d’avion coûtent cher, ils ne peuvent voir leur famille qu’une fois par an. Cette famille, qu’ils ont eu si peu l’occasion de retourner voir au pays, en devient presque étrangère. La pièce commence par l’arrivée d’un jeune homme prénommé Martin qui va venir faire basculer le quotidien de ces hommes. Ce Martin a perdu sa mère et il cherche son père inconnu depuis.
Le sujet de la pièce est très intéressant puisque ces travailleurs forment une population socialement invisible et politiquement muette. Ce thème est rarement vu au théâtre.
La mise en scène est assez simple. Le décor ne change pas. Une table, quelques chaises, un lit et un meuble rafistolé montrent la précarité du foyer. Quelques accessoires tels que du linge, des jeux, des documents donnent vie à ce décor. Une lumière constante est dirigée vers le retraité le plus malade et un autre faisceau lumineux sert à faire changer les comédiens d’espace (assis en extérieur à regarder le monde autour d’eux) ou bien il isole le comédien qui se confie. Quand ils sont en extérieur on entend des bruitages. On voit parfois des femmes sur l’écran en fond de scène en noir et blanc. Soit elles marchent, soit elles sont assises immobiles ou en position de désespoir face à la scène. Parfois elles représentent la famille que ces hommes ont laissée en Algérie et parfois c’est la mère défunte de Martin. Les costumes sont banals et réalistes. Les hommes ont un style vestimentaire proche des vieux hommes qu’on voit dans la rue : pulls en laine, manteaux trench, pantalons large, chaussures en cuir. Les comédiens ne changent presque pas de vêtements. Tout cet univers est simple et réaliste. Le but est de nous faire plonger dans leur mode de vie naturellement.
La pièce se déroule sous forme de scènes de vie, de scènes de réflexion où les personnages montrent leur vision du monde actuel,de la jeunesse, comparent les défauts de leurs deux pays : la France et l’Algérie. Mais surtout, l’œuvre est remplie de témoignages perpétuels dans un ordre un peu aléatoire de manière logique. Ce n’est pas une tragédie : on ne cherche pas à donner pitié. Tout est digne et respectueux. Les hommes parlent de leurs acolytes avec estime. Le texte raconte leur histoire, montre la réalité des choses. Ils ont travaillé toute leur vie et aimeraient seulement pouvoir profiter de leur fin de vie dans leur pays de naissance. Ils ne se plaignent pas, même quand Martin leur propose un logement meilleur « bien trop grand » pour eux qui préfèrent leur simple foyer.
Les personnages sont à l’image de la pièce : simples. Ils sont bienveillants et généreux puisqu’ils s’aident l’un l’autre. Mais surtout ils aiment leurs pays même s’ ils y ont presque tout perdu en immigrant en France. Un des chibanis veut y être enterré. Les personnages ont tous des caractères et parcours différents. Le plus gentil d’entre eux est celui qui a perdu les liens d’amour qu’il avait avec sa famille en partant, à cause de la distance. Le second, plus méfiant, aide à gérer les dossiers administratifs de ses camarades. Un autre est devenu orphelin aux pays, il s’occupe du malade. Les comédiens sont incroyables. Je me rappelle du monologue d’un comédien racontant le départ d’Algérie pour la France de son personnage. Ce dernier cite la phrase qu’a dite son père (« Mon fils tu vas en Enfer ») avec une intensité et une force dans la voix changeant en un instant. Cela m’a fait frissonner. L’espace d’un instant, il a pris la place et la voix de son père. J’ai beaucoup aimé aussi la scène finale de tendresse où Martin retrouve enfin son père qui le serre dans ses bras. J’ai aussi beaucoup ri aux scènes de débats sur le banc en extérieur. Quand ils se disputent sur l’Algérie et la France en montrant les défauts de chacun des deux pays. L’un d’eux dit « qu’il préférait presque l’époque où la France occupait encore l’Algérie ». Les quatre autres tournent lentement leurs têtes vers lui. C’est ce mouvement synchronisé qui m’a fait rire.
Pour conclure, ce spectacle m’a énormément plu. Il est simple, facile à suivre, à comprendre. Le sujet est clair, on en apprend beaucoup sur les chibanis. Ce n’est pas triste, c’est juste une pépite de bienveillance. C’est tout à fait possible de voir ce spectacle en famille. À voir absolument !

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