Vu par Charles F.
Anna-Fatima est une pièce de théâtre signée et interprétée par la metteuse en scène Sophie Lebrun, programmée du 14 au 19 février 2022 au théâtre Montfort à Paris.
Cette pièce met en scène la rencontre, somme toute fusionnelle entre Sophie Lebrun, une metteuse en scène qui joue son propre rôle, et Anna-Fatima, auteure algérienne dont la hantise – faisant écho à son passé -, et l’écriture, concernent l’immigration maghrébine, le métissage, l’histoire coloniale algérienne et enfin de l’incidence sur les sociétés françaises et algériennes. Étant donnée son absence, le rôle de son personnage sera interprété par Sophie Lebrun, laquelle assume donc un double rôle.
Cette dernière nous fait tout de suite part des raisons pour lesquelles elle décide d’écrire ce spectacle. En voici quelques mots, lesquels permettent de mieux contextualiser l’intrigue :
« Il y a deux ans, j’ai passé une audition pour le rôle d’une jeune femme issue de l’immigration du nord de l’Afrique. J’y ai mis tout mon cœur. Je n’ai pas été prise. Alors je décide de faire mon spectacle. Je commence par interviewer des femmes d’origine algérienne. Un jour je tombe sur Anna-Fatima et là je voyage. J’ai rencontré la perle. Je comprends à ce moment-là que c’est elle, le spectacle ». Elle nous explique ensuite son choix d’organisation en en dégageant la singularité majeure et en nous expliquant de quelle manière elle a décidé d’assumer ce double rôle : lorsqu’elle jouera son propre personnage, sa voix émergera d’une enceinte posée sur une petite étagère, et lorsqu’elle interprètera Anna-Fatima, elle adoptera, et ce le plus fidèlement possible, la gestuelle et l’accent que prend ordinairement cette dernière, et alors la voix sortira d’un petit micro accroché à son oreille. Et c’est ainsi que tout au long de la pièce, Sophie Lebrun joue deux personnages à la fois, notamment leurs destins, enfances, manières de voir, de prévoir, d’agir et de réagir, qui s’opposent, comme si toutes ces très nettes différences étaient programmées avant même la formation de leurs êtres respectifs. C’est de cette manière que le spectacle acquiert sa réelle singularité : d’abord d’un point de vue esthétique – faire croire à un dialogue entre deux êtres constitue déjà une véritable prouesse de mémoire, de jeu et de créativité, l’unicité et la simplicité du lieu dans lequel se passent toutes ces conversations, desservant plusieurs sujets historiques brûlants comme le colonialisme, accentue la dimension esthétique du spectacle. Ensuite, ce dernier parvient de surcroit à acquérir une singularité scénaristique : créer une interaction capable de lier deux êtres, pourtant paumés entre deux cultures, deux pays qui se font face et qui ne se reconnaissent pas, mettre en lumière, et ce de manière fluide et assumée, les intérêts de chacune, conjuguer plusieurs problématiques philosophiques telles que le droit de vivre et de posséder quelque chose. Tout cela contribue à la fabrique de la profondeur de l’intrigue, qui ne cesse de jouer sur la contradiction. Ainsi, toutes ces prouesses, tant esthétiques que narratives, constituent un spectacle subtil, teinté de nuances de légèreté et de gravité, qui aborde de façon originale et singulière la mémoire et les non-dits liés aux événements de la Grande Histoire, et leurs impacts sur l’identité et le quotidien de deux femmes.
A ce titre, je ne peux que vous recommander de vous plonger dans les troubles et méandres labyrinthiques de cette poignante histoire.